24/11/2020
Jasmin Gushani
Son arrestation
Le 30 septembre 2020, nous recevons un appel téléphonique de Jasmin Gushani, enfermé depuis le 21/08/2020 plusieurs mois au 127bis suite à une arrestation lorsqu’un jour il ne portait pas son masque en rue « Je me suis excusé et je l’ai remis, mais c’était trop tard, ils m’ont arrêté ».
Sa déplorable condition de détention
Il explique qu’il est malade à cause des conditions insalubres dans le centre. « Il y a une semaine, j’ai mangé quelque chose à la cantine, depuis j’ai des gros problèmes à l’estomac“. A cause des conditions sanitaires du centre et les problèmes de santé que cela lui engendre, il ne pourra se rendre au tribunal pour l’appel de sa demande de libération. Il s’inquiète et dit « quand je vais aux toilettes c’est comme ‘de l’eau et du sang’», « Je suis malade, à l’infirmerie on m’a juste donné un cachet qui ne marche pas ». Depuis, il ne mange presque plus. Aujourd’hui, il est toujours malade.
L’inextricable souci de sa demande de libération
Sa demande de libération est refusée et les arguments de son avocat expédiés d’un revers de la main par le juge qui estime en feuilletant rapidement son dossier que Jasmin est un danger pour la sécurité nationale dû à plusieurs passages en prison. Son avocat nous dit que pourtant il ne s’agit que de quelques faits mineurs.
Lorsque nous parlons avec Jasmin il nous explique son sentiment d’injustice et les violences de son parcours administratif
« Je vais mal, 12 ans que j’attends et que je perds ma vie, j’ai 38 ans, 6 mois de plus… Je n’ai pas le temps! […] La Belgique c’est chez moi […] Depuis la prison, j’ai déjà fait 4 centres, c’est trop ! J’ai perdu ma vie ici. Je voulais vivre normal, j’ai essayé mais on nous refuse les papiers partout et puis on s’étonne qu’on doive faire des choses illégales pour survivre. J’aimerais sortir d’ici mais on ne me donne pas de deuxième chance.”
Sa situation est particulière, aucun pays des Balkans ne se considère responsable de lui et prêt à le reprendre. Il entre dans la catégorie de personnes qui devraient être libérées par « impossibilité du retour ». En fait, il reste enfermé parce qu’il demande une protection internationale pour régulariser sa situation et reconstruire enfin sa vie ; mais ses passages en prison, pour des faits de débrouilles et de survie, le cadenassent dans ce statut de « menace ».
Violences physiques en centre fermé
Il témoigne aussi de la violence vécue dans le centre lorsque le 4 octobre, il se fait tabasser par des codétenus pendant la nuit :
« La nuit le mec qui partage ma cellule m’a réveillé en me secouant, il dit que je ronfle. Moi, je ne pense pas que ce soit le cas mais peut-être qu’avec les médicaments… Je me lève pour allumer la lumière pour lui parler mais il a pris peur… il est sorti en courant, il pensait que j’allais le frapper mais je voulais juste parler.
Il est revenu avec 8 mecs, 4 m’ont tenu et les autres m’ont frappé, ils ont mis du plastique dans ma bouche. Je vais très mal, j’ai des bleus partout… Au dos, aux côtes, j’ai très mal au pied et aux doigts ».
Suite à cela, il sera emmené en cellule d’isolement, avant d’être transféré dans une autre aile. Un médecin extérieur et deux policiers viendront également constater son état de santé et ses blessures. Son assistante sociale remplit une constatation officielle des faits pour son dossier juridique mais lorsque son avocat la reçoit, il constate deux erreurs qui rendent le document irrecevable. Une faute dans la date de naissance de Jasmin et l’absence de la date des faits de son agression. Jasmin dit qu’il commence à croire qu’elle le fait exprès, on lui explique par ailleurs que son document doit être envoyé au plus vite pour que sa plainte soit possible. Le lendemain, un autre travailleur vient dans sa chambre pour lui dire « appelle ton avocat, des gens qui travaillent ici ne veulent pas que l’info des bagarres sortent, si tu veux que ça avance fait le venir en urgence ! ».
L’attaque sur sa santé
Au-delà de sa santé physique, c’est sa santé mentale également qui est en jeu après plusieurs années d’exclusion, d’enfermements et de violences institutionnelles. Souvent, il répète que ses pensées sont « noires » et témoigne de comportements autodestructeurs
« j’ai des pensées qui tournent, je veux partir. […] Aujourd’hui je me sentais mal, j’ai boxé mes mains dans le mur et le radiateur, j’ai utilisé les gilettes, les rasoirs sur mes bras, j’en peux plus”.
Il se sent abandonné, condamné à devoir vivre sans papier après 12 ans de vie en Belgique. Il dit aussi vivre dans la crainte d’une autre attaque parce qu’ « ici, tu pourrais mourir, personne ne le saurait jamais ».