Octobre 2024
On nous a rapporté de nombreuses tentatives d’expulsion au cours de ce dernier mois. La cadence des expulsions n’est pas inhabituelle, si ce n’est que parmi ces tentatives nous avons eu connaissance de situations particulièrement violentes.
Échec d’une expulsion vers le Sénégal
Le samedi 5 octobre 2024, deux hommes d’origine sénégalaise ont subi une tentative d’expulsion. Tous les deux ont introduit plusieurs demandes d’asile et de régularisation par le passé, et ont vécu des détentions très longues en centre fermé. L’expulsion du 5 octobre a suivi une tactique de “réserve”, c’est-à-dire qu’une seule place était disponible dans l’avion mais qu’une personne était désignée “en réserve” dans le cas où la première expulsion échouait. Dans les deux cas, des laissez-passer ont été délivrés par l’ambassade du Sénégal le 2 octobre, et ce dans le mensonge le plus total car jusqu’au 4 octobre, l’ambassade nous affirmait n’avoir rien délivré.
Aucune des deux expulsions n’a abouti. Une des personnes nous partage ce qu’il a vécu. Il s’agit déjà de son troisième passage en centre fermé, et il a donc déjà subi un grand nombre de tentatives d’expulsion à l’aéroport. Cette fois-ci, il était “prêt”, d’après ses termes, et a tenté de s’infiltrer en cellule avec un briquet caché dans sa chaussure, dans l’optique de l’avaler au moment du vol. Ce genre d’actes désespérés, qui prennent même parfois la forme d’automutilations, sont courants pour empêcher les expulsions. Arrivé au commissariat de l’aéroport, il a été fouillé et le briquet a été confisqué. Il avait cependant gardé un ressort de stylo en métal dans sa bouche. Quelques minutes avant d’être emmené, il a montré le bout en métal et a fait mine de l’avaler. Quatre gardiens se sont alors jetés sur lui et ont maintenu sa gorge. Il cachait l’objet dans ses gencives et a affirmé l’avoir avalé. Les policiers l’ont alors menacé (étaient-ils déçus de ne pas pouvoir passer leur week-end à Dakar ?), et lui ont dit que d’ici une ou deux semaines l’expulsion sera plus violente, et la fouille mieux effectuée. Emmené ensuite à l’hôpital, ils ont fait une radio et des tests, sans trouver l’objet en question. Il a été gardé au centre 127bis, et ramené au centre fermé de Merksplas le dimanche matin. Depuis, il est traumatisé, et n’arrive plus à manger ni à dormir.
Nous avons récemment appris que cette même personne était de nouveau menacée d’expulsion le 29 octobre dernier.
Expulsion d’une jeune femme vers le Ghana
Une autre expulsion prévue vers le Ghana aurait lieu le même jour, le samedi 5 octobre. La jeune femme que l’Office des étrangers avait décidé d’expulser était enfermée depuis 8 mois au centre fermé Caricole, puis à Bruges. Elle a 25 ans, et fuyait le Ghana pour éviter un mariage qui ne lui convenait pas.
Elle a été placée au cachot la veille, et ses affaires lui ont été saisies. Le jour de son expulsion le 5 octobre, elle a été aperçue et entendue dans le commissariat de l’aéroport. Elle poussait des cris et se débattait. N’ayant plus de nouvelles d’elle, ses co-détenues ont entamé une grève de la faim pour obtenir des informations. Nous décrivions la situation dans un précédent communiqué*.
Le lundi 7 octobre, elle a finalement pu joindre sa psychologue pour l’informer de son expulsion et de son arrivée au Ghana. Son rapatriement s’est effectué sans que sa psychologue n’en ait été informée.
* https://www.gettingthevoiceout.org/greve-de-la-faim-des-femmes-au-centre-ferme-de-bruges/
Vols collectifs vers le Nigéria et le Maroc
Fin-septembre, 30 personnes nigérianes venant de différents centres fermés ont été expulsées dans un vol collectif.
Les vols dits collectifs sont des vols spécifiquement affrétés pour des expulsions, au départ de l’aéroport militaire de Melsbroek.
Nous avons également eu connaissance d’expulsions groupées vers le Maroc. Le 5 octobre, 8 détenus d’origine marocaine, qui étaient en détention à Merksplas ou au 127bis, ont été expulsés ensemble par un “vol spécial”, probablement un vol collectif.
Tentative d’expulsion d’un jeune palestinien
Ce 13 octobre, une tentative d’expulsion d’un jeune palestinien a été avortée. La veille de l’expulsion, il s’est blessé à la tête et a dû être examiné à l’hôpital. Mais cela n’a pas empêché, dès son retour en centre, que la sécurité vienne le chercher dans sa cellule à 4h du matin afin qu’il soit escorté vers l’avion.
Une fois à l’aéroport, il a résisté à l’expulsion et a été ramené au centre fermé 127bis. Une quinzaine de personnes, venant de toute la Belgique, s’étaient d’ailleurs rendues à l’aéroport le jour de l’expulsion pour se mobiliser contre cette expulsion forcée.
Le jeune homme subit encore à l’heure actuelle la menace d’une nouvelle expulsion. Il est dans un état psychologique très vulnérable. Une nouvelle demande de protection internationale est en cours.
Nous avons dédié un article complet à ce sujet**.
**https://www.gettingthevoiceout.org/tentative-dexpulsion-dun-jeune-palestinien/
Deux expulsions avec escorte ce mardi 29 octobre vers Dakar et Conakry
Un homme détenu en centre fermé depuis 6 mois, d’abord à Bruges puis à Merksplas, a subi une expulsion ce 29 octobre vers la Guinée. Il réside en Belgique depuis 5 ans. Un laissez-passer a été délivré par l’ambassade de Guinée dans un format inhabituel, ce qui a été la source de nombreux contacts avec l’ambassade et d’une manifestation devant l’ambassade le jeudi 24 octobre pour leur poser des questions. L’ambassade a refusé de recevoir les personnes participant au rassemblement.
Un homme originaire du Sénégal a également subi une tentative d’expulsion le même jour, vers Dakar. C’est la troisième fois qu’il est incarcéré en centre fermé depuis 2021, et il ne compte plus les nombreuses fois où il a été emmené à l’aéroport pour des tentatives d’expulsion.
D’autres expulsions qui ne seront pas oubliées
Plusieurs personnes d’origine érythréenne ont été arrêtés ces dernières semaines dans le cadre de la procédure Dublin. Certaines d’entre elles ont été rapidement expulsées vers la Pologne.
Après deux demandes d’asile refusées, une femme enfermée à Holsbeek a subi une tentative d’expulsion ce 8 octobre vers le Cameroun, dont elle est originaire. Le pilote de l’avion l’a finalement laissée descendre du vol, et elle n’a pas été expulsée ce jour-là. Mais elle a reçu un nouveau ticket, et a très peur.
Le 18 octobre, un homme détenu au Caricole depuis presque 6 mois a subi une tentative d’expulsion vers la Côte d’Ivoire. Il s’agit déjà de sa troisième tentative d’expulsion, avec escorte policière. Il n’est pourtant pas originaire de la Côte d’Ivoire, et n’y connaît personne. Monsieur a été expulsé. Nous n’avons plus de nouvelles de lui.
Ce samedi, un homme a subi sa troisième tentative d’expulsion vers le Nigéria, avec escale à Istanbul. Il habitait en Belgique depuis quelques années déjà, et n’avait plus de connaissances au Nigéria. Il a finalement bien été expulsé.
Ce dimanche 3 novembre, un homme a subi une expulsion vers le Cameroun. Cela faisait déjà 14 mois qu’il était en centre fermé, et il avait un rendez-vous prévu le lendemain (le lundi 4 novembre) au tribunal en vue d’une potentielle libération. Il a finalement bien été expulsé.
On voit combien les menaces d’expulsions qui pèsent sur les détenu·es de manière chronique et dont la violence et la pression sont exponentielles poussent les personnes dans leurs retranchements. Les détenu·es en viennent à employer des moyens de résistance dangereux pour elles et eux-mêmes, tels que l’ingestion d’objets ou l’automutilation. C’est dire à quel point l’expulsion peut représenter un danger pour leur vie : tant de la part des escortes policières, qu’au regard des violences que les personnes risquent de subir dans le pays de destination.
Solidarité avec les enfermé·es !
Stop aux expulsions !