Audio : La souffrance est morale ! (FR)

18/04/2011 – Témoignage d’un homme d’origine africaine, ayant passé 8 mois en centre fermé, à Vottem (Liège) puis à Bruges.

Écouter le témoignage :

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Je m’appelle …. Jusqu’en 2006, je ne connaissais pas mon âge réel. Je l’ai appris seulement à mes 26 ans. Donc, à l’heure actuelle, j’ai 29 ans et je suis né le 23 avril 1982.

Donc, à Vottem, j’y suis resté 4 mois. Sincèrement, je ne sais pas ce qu’ils font avec l’argent qu’ils reçoivent pour les étrangers ! La première chose que j’ai été voir quand je suis arrivé là-bas, c’est la salle de sport, là où les gens peuvent au moins s’occuper… Elle était totalement délabrée ! Tout le matériel qu’ils ont est foutu. Donc, je suis allé voir le directeur et je lui ai dit : « Mais où sont les moyens ? Pourquoi vous ne mettez pas du matériel pour les gens ici, ils ont besoin de se défouler, ils sont enfermés, comme du bétail. Le seul moyen pour se dépenser c’est ça, pourquoi vous ne mettez pas du matériel approprié ? » Je n’ai jamais eu de réponse.

Ce que je trouve bien à Vottem, c’est qu’ils ne font pas la séparation entre les prisonniers et le personnel. À midi, tout le monde mange ensemble, donc si tu as quelque chose à dire, tu peux le dire directement à table. Je ne ratais pas cette occasion, je vous assure ! (Il rigole)

Dans les dortoirs, on est 2, 3 ou 4. On n’est pas à 16 ou à 20 comme à Bruges. Tu peux entrer et sortir de la chambre quand tu veux. Tout ça c’est Vottem. Tu sors 3 fois par jour pendant l’été et 2 fois pendant l’hiver, pendant des périodes assez large. Tu peux te défouler, courir, jouer au foot, jouer au basquet… Sincèrement il n’y a pas moyen de s’ennuyer à Vottem, si tu es quelqu’un d’actif. Ça, c’est vrai.

Bon, mais être enfermé, personne n’aime bien, personne ne peut supporter ça. Donc au bout d’un moment, je commençais à en avoir marre et à organiser ma section pour faire une grève de la faim.

–       Pourquoi en avais-tu marre s’il était possible de ne pas s’ennuyer ?

S’ennuyer ? Mais comment tu peux supporter qu’on t’enferme, qu’on te dise ce que tu dois faire, comment tu dois te comporter… Non, non ! Tu es quand même enfermé ! Même si tu n’es pas enfermé dans ta chambre 24h/24 comme en prison, que tu peux entrer et sortir, aller dans la salle de télé, dans le dortoir, d’une chambre à l’autre… Mais tu reste enfermé ! (Il rigole) Tu ne peux pas voir ta famille !

La question ce n’est même pas physique, c’est moral ! La souffrance n’est pas physique ! Physiquement tu fais du sport, tu vois des gens… Mais c’est moral !

J’avais une fille qui était dehors, mon petit frère qui était dehors, des amis… J’ai une vie moi autour de ça ! Et des obligations ! Comment je peux respecter mes obligations si je suis enfermé !

Ce n’est pas gai que ta fille vienne te voir enfermé, ou de déranger des gens : « Je suis enfermé, envoyez moi de l’argent !», ou de lire des lettres au lieu de communiquer directement ! La souffrance est morale, elle n’est pas physique !

Donc j’ai organisé cette grève de la faim, mais ils ne m’en ont pas laissé le temps. Ils savaient que c’était moi l’organisateur, ils m’ont envoyé à Bruges, en croyant que ça allait m’arrêter ! (Il rigole)

Bruges ! Comme ça au moins, j’ai pu découvrir ce centre qui est complètement flamand, avec d’autres méthodes de travail. Là-bas, il n’y a pas d’éducateur, à part un assistant social ou un psychologue que tu vois de temps en temps, mais ils ne sont pas autour de toi 24h sur 24h.

À 7h, debout, et tout le monde dehors ! Dans le dortoir, il y a de 20 personnes, à parfois 40 personnes. Les cours sont beaucoup plus petites ! Le salon convivial est beaucoup plus petit ! C’est horrible Bruges… HORRIBLE !

On ne nous propose rien, la seule proposition c’est : « Si tu as envie de retourner chez toi, on peut te donner des sous ! » (Il rigole)

C’est la seule proposition qu’il y a.

–       Tu es resté combien de temps à Bruges.

4 mois, comme à l’autre. Donc en tout j’ai été 8 mois enfermé.

–       Psychologiquement, comment ça va ?

 Ça laisse des séquelles, ça c’est clair ! On s’y fait, hein ! Je vais peut être voir un psychologue d’ici peu, pour voir où j’en suis, remettre les cases dans l’ordre (il rigole). Non, c’est vrai que ça laisse des séquelles. Ça reste un contexte d’enfermement, tu n’as plus de liberté !

Il y a une personne qui travaillait pour le ministère de l’intérieur, qui connaissait bien les régions africaines, qui est venue m’interroger. Elle m’a demandé si j’étais angolais. J’ai dit que non, que j’étais belge ! (Il rigole)

Elle m’a demandé : « Pourquoi dites-vous que vous êtes belge ? » J’ai répondu « Madame, parce que j’ai des liens en Belgique, j’ai ma fille en Belgique, j’ai des amis en Belgique, je suis arrivé ici jeune, j’ai fait mes études primaires et secondaires et donc le pays que je connais le mieux, c’est la Belgique. Donc pour moi, je suis belge ! »

Elle me disait : « Non, non, vous n’êtes pas belge… », elle m’a tellement saoulé que je lui ai dit : « Madame, donnez moi 5 jours et je quitterai votre putain de pays ! » (Il rigole)

Finalement, elle m’a donné ces 5 jours, YOUPI ! J’ai pu sortir de ce centre fermé ! Après 8 mois !

J’ai refait les démarches et le 7 mars ils ont pris leur décision : « Vous avez le titre définitif monsieur ! ».

2011 ! Eduardo a eu ses papiers ! 10 ans après ! Bravo ! (Il applaudit)

–       On voulait savoir s’il y a de la violence dans les centres.

Il y a beaucoup de violence verbale de la part des vigiles. Et parfois quand ils t’arrêtent, quand ils t’amènent en cellule, ils peuvent êtres très violents, très très violents ! Ils peuvent te frapper, mais toujours avec des précautions pour que tu ne puisses pas porter plainte.

–       C’est-à-dire ?

Ah, ben, ils mettent des gants, ils prennent des bottins, comme fait la police, et ils te tapent dessus.

Je pense aussi que ça dépend de la proie. S’ils voient que tu es un peu fragile, ils te bouffent vraiment, mais si tu montre un peu de tête, ils te mettent juste un peu à l’écart. Si tu montre trop de tête, alors ils te changent complètement de centre. Ils te mettent dans un centre plus sévère, comme Merksplas, où ils frappent vraiment ! (Il rigole en imitant les bruits de coups)

Donc, oui, il y a de la violence dans les centres fermés.

À Vottem, ce qui fait la différence, c’est la présence de ces éducateurs, qui jouent un rôle de prévention. Il y a un œil sur ce que les gens font. Mais quand il n’y a pas ce genre de présence, je pense que les gens se sentent encore plus libres de faire ce qu’ils veulent.

Mais tous les centres fermés devraient être fermés. Il n’y a personne qui doive être enfermé parce qu’il n’a pas de titre de séjour ou de carte d’identité ! Ce n’est pas légal que l’on puisse enfermer les gens qui n’ont pas d’identité, ou à cause de leur couleur de peau… C’est une discrimination raciale ! Ou fasciste !

Qu’une nation ou un pays qui reconnaît la discrimination raciale comme punissable, puisse ouvrir des centres pour enfermer une personne sur la base du fait qu’il n’est pas ressortissant du pays… C’est n’importe quoi ! (Il rigole)

Donc pour moi, ils devraient tous être fermés, ce n’est pas humain, c’est la gestapo ! Pour moi, c’est le même régime que du temps d’Hitler ! La différence c’est qu’ils enfermaient des juifs… Il ne manque que les chambres à gaz quoi ! Il ne manque que ça, sinon c’est la même chose !

Je pense à Semira Adamu qui a été étouffée, je pense à tous les autres qui sont lynchés, il y en a qui ne veulent pas être expulsés, qui se débattent, ils se font taper, sont considérés comme des moins que rien ! Quand les policiers accompagnent ces gens vers l’aéroport, ils les traitent : « Sale noir ! », « Tu ne vaux rien ! », « Retourne chez toi ! ». Des propos racistes chez les policiers ! Donc, où va-t-on ? C’est ça la question : « Où va-t-on » ?

Ils m’ont enfermé, je suis resté 8 mois enfermé ! Aujourd’hui, je suis encore là, je vais avoir mes papiers ! Ça a servi à quoi qu’ils m’enferment ? À attiser ma haine, à attiser ma rage ? À quoi ?

–       Tu y penses encore aujourd’hui ?

Ah, mais c’est clair ! C’est normal que j’y pense. Je pense aussi énormément que l’état belge est un état hypocrite ! Je peux donner vite fait une anecdote. Le jour où nous sommes allé manifester, un couple était là et ils disaient : « C’est vrai que ceux qui travaillent doivent être libérés, mais ceux qui ne travaillent pas, ils doivent être expulsés ! »

Je les ai regardés et je leur ai dit : « Arrêtez l’hypocrisie ! Ceux qui ne travaillent pas, pourquoi ne travaillent-ils pas ? Pourquoi sont-ils obligés de quitter leurs pays ? Parce qu’ils n’ont pas de moyens ! La Belgique et l’Europe ont tendance à donner l’image d’être le paradis, d’être accueillant, justement pour attirer de la main d’œuvre, mais une fois qu’il y a trop de main d’œuvre, qu’il n’y a plus de boulot, allez ! dégagez ! C’est de l’hypocrisie ! Les Congolais qui sont enfermés à l’heure actuelle, s’ils sont dans cette condition, c’est parce que le Congo a été pillé par la Belgique et les puissances occidentales ! »

C’est de l’hypocrisie, je ne trouve pas ça correct !

–       Qu’est ce que tu as vu de plus dur dans les centres fermés ?

Ce que j’ai vu de plus dur, c’est les enfants enfermés. On ne peut pas enfermer un enfant ! De quel droit ?

–       Comment tu as pu expliquer à ta fille que tu étais 8 mois dans un centre ?

Je le lui ai expliqué en lui disant que l’homme blanc est mauvais ! (Il éclate de rire). C’est vrai, mais j’ai plus argumenté que ça !

–       Et elle a compris ?

Oui tout à fait ! Maintenant elle est toute contente que j’ai reçu mes papiers ! Voilà, papa n’est plus illégal !

–       Elle est belge ?

Oui, elle est née ici, sa mère est belge. J’avais fait une demande d’établissement en tant que père d’un enfant belge. Ils m’ont répondu que la demande était sans objet car ma fille ne pouvait pas me prendre en charge ! Et donc à cause de ça je suis resté tout ce temps sans rien !

–       Ok, merci !

De rien.

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