Le carnet du bagnard de Caricole (3ème partie) Fr

Le carnet du bagnard de Caricole (3ème partie)

Entretien réalisé par Yves Lodonou 08/11/2016

Le drame social et familial n’a pu être évité. M. Daté HOUEDAKOR l’a subi à ses dépens. Les autorités de l’asile et l’immigration ont pris une décision à la surprise du commun des mortels. Les enfants attendaient le retour de leur papa à la maison. Détenu depuis le 1er octobre 2016 au centre Caricole, il s’est vu refouler lors de la troisième tentative le 8 novembre 2016 via le vol Royal Air Maroc (Bruxelles – Casablanca – Accra). La chasse aux étrangers est devenue une réalité de notre temps. Peu importe la situation administrative, le modus operandi est l’expulsion aveugle selon les échos du cabinet. Même si l’on ne s’en doute pas que le Secrétaire d’Etat à l’Asile et l’Immigration du gouvernement Michel a fait de la reconduction des étrangers même en situation régulière son cheval de bataille.

Au centre Caricole

J’ai été appelé au dispatching du centre Caricole. J’ai été surpris par la nouvelle de mon expulsion. Aussitôt les agents de la Police fédérale sont arrivés. Ils m’ont passé les menottes et ils ont mis une corde à l’un de ses pieds. Dans la précipitation ils ont démarré vers l’aéroport. Ils étaient plusieurs.

Arrivée à l’aéroport de Zaventem

Arrivée à l’aéroport, mis en isolement pendant plusieurs heures. Accès à l’avion plus tard. L’avion n’était pas rempli, les passagers occupaient la moitié soit l’avant jusqu’au milieu. Ils m’ont mis à l’arrière dans l’avion avec deux escortes qui me quadrillaient. Un autre agent debout maintenait ma tête vers le bas contre le siège avant. Je suis resté courbé et oppressé privé de tout geste. Je criais mais personne ne pouvait m’attendre. J’arrivais à peine à respirer. J’étais suffoqué. Je me sentais anéantie et j’avais peur pour ma vie. Mais à un moment une personne probablement un passager sur le vol s’est approchée et a déclaré qu’elle est médecin, elle voulait savoir ce qui se passait. Les agents lui ont marmonné quelque chose. Je n’ai pas trop compris. La dame qui dirigeait l’opération a parlé avec un membre de l’équipage, elle disait que « il doit partir, il nous a fait perdre de l’argent »

Au moment de décoller les agents de la police fédérale et la dame qui dirigeait l’opération ont quitté l’avion. J’ai voyagé donc avec les deux agents qui me quadrillaient jusqu’au Maroc où ils m’ont laissé entre les mains de la police de ce pays.

A Casablanca j’ai perdu un peu connaissance, j’étais faible et épuisé. Je ne tenais plus debout et prêt à m’effondrer. Ils m’ont épaulé pour me sortir de l’avion. Au pied de l’avion nous attendait une ambulance. Ils m’ont conduit jusqu’à un local où j’ai pu être mis sous perfusion. J’en ai reçu deux. Je suis resté là jusqu’à 23h en attendant le départ pour Accra. Un Monsieur en costume noir apparemment d’origine marocaine est venu me sermonner, il m’a fait des remontrances comme quoi je fais perdre l’argent à la compagnie Royal Air Maroc. Je lui ai répondu timidement que je ne suis pas « sans papier » ni « un criminel ». En Belgique où je vis depuis plusieurs années, j’ai un emploi, une famille et une maison.

Départ de l’aéroport de Casablanca

Le Monsieur en costume noir apparemment d’origine marocaine est devenu calme après mes explications. Il m’a accompagné jusqu’à l’avion. Il a refusé aux policiers marocains de me conduire jusqu’à Accra. Il a alors remis mes documents aux pilotes.

Arrivée à l’aéroport Kotoka d’Accra

Un membre du service de l’immigration est venu m’interroger à propos de mes papiers. Le reste de la brigade m’a posé plusieurs questions car il ne comprend pas pourquoi j’ai été refoulé. J’ai expliqué ma situation et ma détention en Belgique (6 semaines) suivi de mon expulsion. Je leur ai dit qu’en Belgique j’ai une situation régulière, je suis père de quatre enfants, j’ai un contrat CDI auprès d’un employeur et propriétaire de ma maison.

J’ai été demandeur d’asile politique en Belgique puis j’ai été régularisé. N’étant pas marier avec ma compagne, je rencontre des difficultés pour déclarer mes enfants à l’Etat Civil. L’administration me réclame mon passeport de mon pays d’origine et cette situation dure depuis neuf ans.

A quelques mois de la naissance de mes enfants jumeaux, j’ai pris le risque de me rendre dans mon pays d’origine le Togo après plus d’une décennie de vie en exile. C’est la première fois que j’effectue ce voyage afin de me faire délivrer un titre de voyage.

Au Togo, je n’ai pas réussi à obtenir ledit document. Ayant laissé femme et enfants ainsi que mon travail derrière moi, je me suis rendu au Ghana pour solliciter le concours des autorités ghanéennes. Le Ghana est avant tout un pays panafricain où certains pères de l’indépendance ont pu trouver asile pendant les luttes pour la libération du joug colonial. D’ailleurs dans les années 90, les togolais ont pu trouver refuge lors de leurs exodes (octobre 1992 à août 1993).

J’ai pu obtenir un « laissez passer » pour retourner en Belgique afin de reprendre mon travail. C’est ainsi que mes déboires ont débutés.

En Belgique les autorités belges n’ont pas accepté pour que je puisse avoir accès au territoire pour cause de non présentation du passeport de mon pays. Malgré toutes mes explications, mes multiples recours déposés par mes conseils, les autorités belges ont donné une fin de non-recevoir et ont maintenu leur décision de me refouler nonobstant ma situation sociale et familiale. Je suis séparé de ma famille et de mon travail. Ainsi va la vie au pays des occidentaux.

Vu mon état de faiblesse, les autorités policières de l’aéroport Kotoka d’Accra m’ont demandé de me reposer le temps qu’un membre de la communauté panafricaine vienne me chercher.

Je dois encore consulter un médecin pour le suivi de mon état de santé.

La qualité du réseau étant peu performant j’ai eu du mal à entrer en contact téléphonique avec les miens. La communication se coupe mais je vais finir par les rassurer.

Je profite pour remercier toutes les personnes connues et anonymes notamment mes conseils maîtres Philippe Mortiaux et Noémie Seghers qui ont abattus un travail de titan face à l’administration de l’immigration, les médias qui ont relayés l’information sur ma détention. Je n’oublie pas ma compagne Yolande L. et toute sa famille pour leur attention et soutien indéfectible. Un clin d’œil à tous mes compatriotes de la diaspora et les africains de Belgique qui ont répondu à l’appel de « Ici et d’Ailleurs – Agir pour le Togo » et du CRACPE de Liège pour un sit-in devant l’hôtel communal de Herstal. Je n’oublie pas les autorités communales pour leur écoute, le soutien de mon employeur, le corps enseignants et les parents d’élèves de l’école de mes enfants. Un vibrant merci au monde associatif (Amoureux de vos papiers, CRER, MRAX, UJPB, OBSPol, la ligue belge des droits de l’homme).

J’espère vous retrouver très prochainement dans de très bonnes circonstances.

La vie est un combat permanent et j’ai appris beaucoup sur le sort qui peut être réservé à chacun d’entre nous sur cette terre.

Que Dieu vous bénisse.

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