La durée de détention en centres fermés est un sujet complexe… En clair, il semblerait qu’il soit possible d’enfermer quelqu’un pour une durée illimitée…
En effet, dès qu’une personne change de centre fermé, ou qu’elle refuse une expulsion, les compteurs sont remis à zéro. Ce qui fait que certaines personnes ont passé plus d’un an, sans discontinuer, dans divers centres fermés. Les effets psychologiques de détentions aussi longues sont dévastateurs sur les personnes.
“Selon une pratique établie, l’Office des étrangers prend une nouvelle décision de maintien lorsqu’un occupant s’oppose à une tentative d’éloignement. Le compteur est alors ramené « à zéro ». Cette pratique a été validée par la Cour de Cassation dans un arrêt du 31 août 1999. (1)”
“Par ailleurs, les seuls chiffres communiqués par l’Office des étrangers sont les durées de détention moyennes par centre,et non pas les durées moyennes par détenu. Il n’est donc pas tenu compte de la durée totale de détention qu’une personne aura réellement subie, les transferts entre centres n’étant pas comptabilisés. Et il y a beaucoup de transferts entre les centres. A titre d’exemple, le rapport 2006 du centre “127 bis” note que :
Un détenu qui aura passé 2 mois au centre “127”, puis 3 mois au centre “127 bis” et 24 heures à l’”INAD” avant le rapatriement apparaîtra dans les statistiques à 3 reprises.
Pour l’administration, il ne s’agira pas d’une personne qui aura passé plus de 5 mois en détention. Bien au contraire, au niveau statistique il s’agira de 3 individus, dont les durées de détention qui apparaissent par centre seront respectivement de 2 mois, 3 mois, 24 heures. Paradoxalement, ce détenu qui aura passé 5 mois en centres fermés permettra à l’administration de faire baisser considérablement les statistiques de durées de détention.” (2)
Pour ce qui est de la durée légale, les textes sont d’une extrême clarté quant à cette volonté de pouvoir garder les gens aussi longtemps que possible :
” Dans l’attente de la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande d’asile, le demandeur d’asile peut être maintenu en principe pendant un mois maximum, sauf lorsque le dossier est complexe. Le maintien peut alors être prolongé d’un mois.
Pour les autres catégories d’occupants (non demandeurs d’asile), la durée maximum de maintien est en principe de deux mois. Sous certaines conditions, cette durée peut atteindre cinq mois. Après cinq mois de maintien, l’étranger doit d’office être remis en liberté, sauf si la sauvegarde de l’ordre public ou la sécurité nationale s’y opposent. Dans ces seuls cas, le maintien de l’étranger peut encore être prolongé jusqu’à huit mois tout au plus.
Dans des circonstances exceptionnellement graves, le Ministre peut mettre un occupant à la disposition du Gouvernement. Dans ce cadre, il peut arriver qu’un occupant puisse être maintenu plus de huit mois.” (1)
Il est important de souligner les formules telles que “en principe” ; “sauf quand le dossier est complexe” ; “dans des circonstances exceptionnellement graves”. Toutes ces formules extrêmement vagues permettent à l’Office des Etrangers de pouvoir exercer un pouvoir discrétionnaire, sans que les avocat(e)s ou les associations puissent faire quoi que ce soit.
On note aussi une différenciation entre les demandeur(se)s d’asile et les non demandeur(se)s d’asile. Dans les faits, on ne voit aucune différence entre la durée de détention dans les deux cas. La plupart du temps, le traitement du dossier des demandeur(se)s d’asile est accéléré à leur arrivée dans le centre (la réponse négative étant presque toujours de mise), et ils/elles deviennent alors de simple “sans-papiers”.
“Depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, en juin 2007, les délais de détention ont augmenté, car désormais l’entièreté de la procédure (d’asile) et non plus seulement ce qui était auparavant désigné comme la phase de recevabilité, peut se passer en centre fermé.” (2)
En clair, il est extrêmement rare de voir sortir une personne d’un centre, pour la raison que la durée légale de détention serait atteinte. Et il est pratiquement impossible de jouer sur cet argument juridique pour faire sortir une personne. Les détenu(e)s n’ont donc aucun moyen de savoir pour combien de temps ils/elles vont rester en centre fermé.
“Ça fait presque 6 mois au centre fermé 127bis. Aujourd’hui j’ai fait 5 mois et 15 jours.”
http://www.gettingthevoiceout.org/jai-vu-beaucoup-de-choses-qui-m-ont-traumatise/
“Ça fait longtemps que vous êtes au centre fermé 127 bis ? On m’a enfermée en novembre, donc ça fait bientôt cinq mois.”
http://www.gettingthevoiceout.org/cinq-mois-en-centre-ferme/
“Je suis resté 8 mois enfermé ! Aujourd’hui, je suis encore là, je vais avoir mes papiers ! Ça a servi à quoi qu’ils m’enferment ? À attiser ma haine, à attiser ma rage ? À quoi ?”
http://www.gettingthevoiceout.org/la-souffrance-est-morale/
(1) Résumé du Médiateur fédéral, “Investigation sur le fonctionnement des centres fermés gérés par l’office des étrangers” (De Bruecker & Schuermans, Juin 2009), http://www.mediateurfederal.be/fr/bibliotheque/rapports/rapports-dinvestigation
(2) Rapport de la délégation de la commission LIBE sur la visite aux centres fermés pour demandeurs d’asile et immigrés de Belgique – Rapporteur: Giusto CATANIA