Depuis, quelques semaines, toute la société belge est réorganisée afin de suivre les mesures sanitaires décidées par le gouvernement. Toute la société belge est réorganisée, enfin presque.
Dans les centres fermés, les prisons, les hôpitaux psychiatriques et pour les personnes SDF, les mesures prises ne sont pas les mêmes… Les oublié·e·s de la société capitaliste subissent toujours et encore plus les inégalités sociales, y compris celles de genre et de race. “On est abandonnés à nous-même”, dira un détenu du centre fermé de Merksplas.
Sachant que la transmission se fait par goutellettes, soit en toussant, en éternuant, et/ou en touchant les objets, comme les poignées, la nourriture, les couverts, etc., les mesures prescrites par les services de santé belges ont été d’éviter au maximum qu’un trop grand nombre de personnes se retrouvent dans un même espace, touchent les mêmes objets, dans les espaces de vie collectifs.
Témoignage 01-04-2020:
La semaine dernière, un homme avait 39 de fièvre à Merksplas. Ils l’ont mis 5 jours au bloc 5 (bloc des cachots) alors qu’il n’y a même pas de table pour manger ni de ventilateur. Ils l’ont libéré du cachot et remis avec les autres sans lui faire de test. Une autre personne nous fait un témoignage similaire, ce pseudo confinement, sans test postérieur, semble être la procédure…Dans le bloc 3 de Merksplas, un homme nous dit : “il n’y a pas de distance d’1,5 mètre, l’eau des douches est froide, il n’y a pas de savon pour se laver les mains. On est quatre par cellule, les gardiens ne respectent pas la distance non plus et ils ne portent pas de masque.”Aujourd’hui, à l’étage du dessus du bloc 3, ils ont contrôlé les gens en leur prenant tous leurs vêtements (même leurs slips) pour un soi-disant vol de médicaments mais ils n’ont rien trouvé. Ils ont ramené des gens aux douches pour les fouiller .Il dit que le centre doit être fermé et il dit que ça va être fermé.
Concernant les institutions collectives, le lavage des mains, des objets, des surfaces et le port de masques sont recommandés, afin de protéger, entre autres, les personnes à risque (personnes souffrant de maladies chroniques respiratoires, cardiaques, rénales ou le diabète….) qui, elles, pourraient faire de complications respiratoires, si elles contractaient le virus. Or, en centre fermé, les personnes à risque n’ont pas été détectées et aucune mesure de prévention n’est mise en oeuvre ce 06/04/2020
Témoignage 30/03/2020:
“Maintenant ma femme et mon fils ne peuvent plus me visiter. Je suis dans le bloc 3 du centre fermé et c’est une situation critique et dangeureuse, comme l’enfer. On est trois par chambre, on va aux mêmes toilettes et douches. Vingt personnes vivent dans ce bloc, en promiscuité. Rien n’est fait pour nous protéger du virus, on mange et joue ensemble, on touche les mêmes portes et on fume dans la même pièce. Il ya beaucoup d’allers et venues de travailleurs. Personne ne porte de masque et il n’y a pas de tests de dépistage du virus. On a vu à la télé que deux prisonniers à la prison de Merkplas étaient malades. Si quelqu’un ici devient malade, qu’est-ce qu’ils vont faire? Maintenant je reste tout le temps dans ma chambre, par ce que j’ai aussi peur pour ma famille.Ils doivent vider et fermer le centre pour que tout le monde reste en bonne santé. J’ai vu à la télé que des gens mourraient, je veux sortir et rejoindre ma famille. Chaque jour, ma femme m’appelle et pleure, elle travaille et s’occupe seule des enfants…”
Les visites sont suspendues, mais les travailleur·euse·s des centres fermés sont quant à eux voués, chaque jour, à sortir de l’institution et à avoir de nombreux contacts avec d’autres personnes, contrairement aux personnes enfermées. Les personnes détenues ne sont, quant à elles, jamais informées des décisions institutionnelles sur les mesures possibles et des cas existants. Déjà soumises à un système traumatisant en soi (risque d’expulsion, enfermement, promiscuité, perte de repères, violences institutionnelles…), elles sont aussi soumises au climat de peur sociétale autour du corona virus, mais sans avoir accès aux informations, qui pourraient permettre de poser des choix individuels et collectifs concernant leur santé.
Témoignage 30/03/2020:
“A la prison à côté à Turnhout (Merksplas), il y a eu un cas testé positif Coronavirus, je suis inquiet, j’ai vu ça dans les informations. A la prison de Forest aussi. Tout le monde ici est inquiet parce qu’ici c’est surement sûr qu’il y a aussi des malades, c’est 60 personnes qui travaillent tous les jours ici dans le centre (…) la situation est vraiment dangereuse. On n’a pas d’informations, on ne nous dit rien . On libère certaines personnes parce qu’ils doivent réduire et puis d’autres, on reste ici. On ne sait pas pourquoi alors qu’on n’a rien fait de mal. (…) vous devez suivre les mesures sanitaires? Vraiment cela n’a pas changé depuis. C’est comme d’habitude, au réfectoire, les personnes qui servent ont des masques et des gants. Les gardiens disent rien, eux n’ont pas de masques. On est exposé au danger tout le temps, tout le monde. Nous avons interpelé le directeur ce matin car on doit tous sortir d’ici, c’est dangereux. (…) Rien n’a changé, on va dans les chambres de 22h à 07h45, ils ferment à clef. Ils reviennent à 7h45 pour aller déjeuner. Au réfectoire on est assis comme d’habitude, après on va à la véranda, c’est là où il y a le billard, le babyfoot, on joue là comme d’habitude. Dans la salle? On peut être tous, donc 20 personnes maintenant. Dans les chambres maintenant on est 3 par chambre, avant nous étions 5 par chambre. Sinon, rien n’a changé (…) s’il vous plait, il faut vraiment faire quelque chose sinon on va tous mourir ici.”
Ainsi, les personnes détenues dans ces centres n’ont pas accès à des mesures sanitaires adéquates et font face à l’exacerbation des violences institutionnelles à leur encontre. Depuis le coronavirus, elles sont d’autant plus oubliées. Face à l’enfermement et aux violences accrues, de plus en plus de détenu·e·s se fragilisent, développent des symptômes postraumatiques et psychosomatiques (amménhorée ou règles abondantes pour de nombreuses femmes ; vomissements, maux de tête ou douleurs traumatiques, dépressions graves, voire symptômes de dépersonnalisation) ou retournent ces violences contre eux (recrudescence des automutilations).
Témoignage (01-04-2020) :
La semaine dernière, un homme avait 39 de fièvre à Merksplas.Ils l’ont mis 5 jours au cachot alors qu’il n’y a même pas de table pour manger ni de ventilateur. Ils l’ont libéré du cachot et remis avec les autres sans lui faire de test.
Les personnes détenues sont soumises à un pouvoir hiérarchique institutionnel, contre lequel elles n’ont que peu de latitude d’action. Certains tentent de réagir face aux violences et injustices répétées subies en s’organisant collectivement de diverses manières, en se révoltant, en tentant de parler au directeur, en témoignant. À chaque fois, la répression de leurs actions, leurs tentatives de faire entendre leurs voix et choix, est très violente, afin de casser toute vélléité de solidarité.
Témoignage 27/03/2020:
Après le lunch qu’ils continuent de prendre dans le réfectoire, les détenus ont fait une action, ont refusé de quitter la pièce sans avoir parlé au directeur. x. a interpellé vivement le directeur en lui disant que“ça ne coûterait strictement rien aux Belges de vider les centres fermés en période de virus, que de toutes les manières ils vont être en lockdown chez eux et surtout que dans 3 mois, quand la crise sera passée, ils pourront trouver encore “pleins d’illégaux” pour à nouveau remplir les centres fermés…”Le directeur a fini par lui dire qu’il allait se renseigner auprès de Bruxelles. Les détenus sont prêts à réitérer l’interpellation, ils attendent des nouvelles en début de semaine prochaine. S’il n’y a rien dans les jours qui viennent ils demanderont à reparler au directeur. x. insiste sur le fait qu’ils interpelleront pacifiquement, sans violence.x.x. Est ok qu’on relaie les infos qu’il nous partage à condition que l’anonymat soit vraiment garanti, ce qui souligne les risques de représailles possibles.
Témoignage 01-04-2020:
La grève a débuté à l’étage du bloc 3. Il y a deux semaines, les gens de cet étage ont commencé une manifestation, après le repas, et ont crié qu’ils refusaient de réintégrer, à la fin de la promenade, à cause du coronavirus.Tout le monde criait en solidarité en bas, mais ils n’ont pas fait de grève. La police est venue, 6 personnes de l’étage ont été mises au cachot et 4 personnes d’en bas aussi, pour plusieurs jours.. On ne s’était pas battu et on n’avait touché personne…”
À travers le système d’enfermement et de frontières, les sociétés occidentales capitalistes hiérarchisent les êtres humains. Il y a ceux qui peuvent avoir accès à certains territoires et ceux qui ne peuvent pas.
La (non)gestion de l’épidémie du coronavirus en centre fermé redouble cette hiérarchisation. Il y aurait celles-eux qui mériteraient que l’on prenne soin de leurs vies et… les autres… les détenus de tout ordre (prisons, centres fermés, hôpitaux psychiatriques, ouvriers des usines…), les improductifs de la société, utilisables (comme le montre l’appel à des personnes sans papiers ou des personnes détenues à moindre coût pour faire des masques…) puis jetables…
Nous nous déclarons profondément opposé·e·s, indigné·e·s et révolté·e·s face à ce système raciste et capitaliste inhumain et inégalitaire, assumé par les autorités belges.
Nous revendiquons l’ouverture de tous les centres fermés, la libération des détenu-es en leur sein et la mise à disposition de lieux d’hébergement ouverts à leur intention.