Politique d’asile et de Migration : un plan en demi teinte (FR)

sourceVendredi, 30 Mars 2012 15:41 30 mars 2012 –La Ligue des droits de l’Homme (LDH) accueille de manière douce-amère le plan présenté au conseil des Ministres par la secrétaire d’Etat chargée de l’asile et de l’immigration. Si notre association ne peut que se réjouir du fait qu’une partie des MENA quittent enfin les hôtels, le plan prévoit des mesures pour le moins inquiétantes en matière de d’asile, de retour et de lutte contre les cohabitations de complaisance..Lire la suite 

Plan de répartition
La LDH, qui appelait depuis des années à la réactivation d’un plan de répartition des demandeurs d’asile, ne peut que se réjouir de ce que de nombreuses communes aient proposé de créer des initiatives locales d’accueil. Elle espère que d’autres communes suivront cette voie, ce qui permettra de contribuer au désengorgement du réseau d’accueil, d’enfin sortir de la crise dramatique de l’accueil que notre pays traverse depuis plus de trois ans et d’éviter à l’avenir que les demandeurs d’asile ne se retrouvent à la rue.

La LDH se réjouit également de ce qu’un centre d’accueil spécifique soit ouvert à l’attention des MENA afin que ceux-ci ne se soient plus hébergés dans des hôtels. Elle rappelle cependant que les besoins réels dépassent largement les 70 places ouvertes et qu’une solution doit être trouvée pour accueillir, sans distinction, tous ces enfants.

Concernant la procédure d’asile adaptée
La LDH rappelle sa ferme opposition à l’établissement d’une liste de pays considérés comme sûrs. Cette liste est, à ses yeux, contraire au principe d’examen individuel d’une demande d’asile ou de protection subsidiaire. Cette mesure, qui vise à diminuer le nombre de demandeurs d’asile en Belgique, pose question en ce qu’elle risque d’exclure des demandeurs de la protection dont ils ont besoin et à laquelle ils sont en droit de prétendre. Traiter en quinze jours une demande d’asile en tenant réellement compte des réalités et de l’évolution de la situation dans l’Etat d’origine relève de l’impossible. L’élaboration de la liste s’est par ailleurs faite de manière non-transparente. Pourquoi l’avis du CGRA à ce sujet n’est-il pas rendu public ?
Les différences entre les listes élaborées par les Etats européens démontrent l’extrême difficulté d’évaluation du degré de sûreté d’un Etat. Alors qu’aux yeux de la Belgique, l’Albanie et le Kosovo font parties des pays considérés comme sûrs, le Conseil d’Etat français s’est prononcé en sens contraire ce 26 mars 2012.

La tristement célèbre condamnation de la Belgique par la CEDH  pour avoir renvoyé un demandeur d’asile afghan vers la Grèce où les conditions d’accueil sont déplorables, rappelle que même un pays de l’Union européenne ne peut pas, a priori, être considéré comme sûr. Il est dès lors aberrant que l’on estime que des Etats tiers puissent l’être.
La manière dont sont envisagés les demandes d’asile multiples pose également question. Il est nécessaire de ne pas considérer, au préalable, toute demande nouvelle comme abusive et frauduleuse. Cette suspicion structurelle est loin d’être légitimée par les faits. Pour preuve, les demandes d’asile multiples, pour février 2012, proviennent majoritairement de ressortissants originaires de Guinée, de Russie, d’Afghanistan, du Kosovo, de Macédoine, d’Arménie, de Rwanda, de Serbie, d’Irak, du Bangladesh, du Congo, d’Iran et du Sénégal. Nombre de ces pays  traversent des situations de crise et de violence et sont connus pour le non respect des droits fondamentaux.

La LDH souhaite rappeler que traiter les demandes d’asile et accueillir les demandeurs est, au-delà d’un devoir moral, une obligation légale.
La LDH sera par ailleurs attentive à ce que la définition des «éléments nouveaux », qui doit encore être précisée dans un texte de loi, ne soit pas arbitrairement restrictive et prenne en compte les difficultés, pour un demandeur d’asile fuyant son pays dans des conditions difficiles évidentes, de réunir l’ensemble des informations nécessaires concernant sa situation.
Incitation au retour
Si le retour volontaire constitue une option envisageable pour certains demandeurs d’asile déboutés, force est de constater que derrière cette appellation rassurante se cache une absence de choix, le retour « volontaire » étant la seule alternative au retour sous la contrainte. Dans ce contexte, le renforcement de la politique d’information concernant ces retours volontaires constitue plus une méthode insidieuse destinée à pousser un maximum de personnes vers la sortie. Une méthode renforcée par la construction prochaine d’un centre de retour destiné aux demandeurs d’asile déboutés qui permettra aux autorités d’avoir les personnes sous la main et de faciliter leur expulsion.

Enfin, alors que l’ouverture du nouveau centre fermé « le Caricole » est planifiée en avril, la LDH rappelle son opposition aux centres fermés et s’interroge, alors que le budget est en crise, sur la pertinence de l’ouverture d’un tel centre.  On rappelle qu’entre 2006 et 2011, plus de 12 300 000 EUR ont été consacrés par la Régie des Bâtiments à la construction, la rénovation et l’entretien de ces infrastructures. Une petite partie de cette somme, investie dans une politique d’accueil digne de ce nom, aurait permis d’accueillir les MENA qui sont laissés à la rue ou logés, depuis 3 ans, dans des hôtels insalubres.
Cohabitation complaisance
Si la lutte contre la cohabitation blanche est légitime, la suspicion préalable avec laquelle la secrétaire d’Etat envisage toute cohabitation entre des personnes d’origine étrangère non européenne nous apparaît injustifiée.

Parce que, en Belgique, la cohabitation n’est pas équivalente à un mariage, les partenaires doivent, pour obtenir un droit au séjour, apporter des preuves de stabilité et de durabilité de leur relation. Ces preuves prennent en compte la durée de la cohabitation et de la relation ou l’existence d’un enfant commun. Ces conditions doivent être remplies au moment de l’introduction de la demande de regroupement familial et permettent dès lors déjà de lutter contre une éventuelle complaisance. En outre, des mesures existent déjà pour lutter contre le regroupement familial « de complaisance » et aucune étude n’a, à notre connaissance, jusqu’à aujourd’hui démontré leur ineffectivité ou insuffisance. Faire reposer une modification législative sur aucun élément concret, pourtant lourde en terme de conséquences sur le respect de la vie familiale, pose fondamentalement question.

Par ailleurs, la LDH sera extrêmement vigilante, dans un souci de respect de la vie privée, à l’égard des informations qui seront demandées aux cohabitants et aux moyens qui seront mis en place pour que les autorités de contrôle les obtiennent.

Retour groupé
La LDH s’inquiète de la volonté affichée d’accélérer les retours forcés. Elle craint tout particulièrement que le recours aux retours forcés groupés n’augmente et se banalise, au mépris des risques élevés inhérents à ce type d’expulsion, en matière de traitement des dossiers individuels et du risque de recours à la violence durant ce type de vol, vu l’absence de contrôle extérieur.

Pour rappel, malgré les mises en garde des associations de défense des migrants et de la diaspora congolaise, la Belgique renvoyait le 6 mars dernier une vingtaine de ressortissants congolais vers la RDC. A leur arrivée, les expulsés ont été arrêtés et privés de liberté à la prison de Kassapa, avant d’être libérés, pour certains plusieurs jours après, sous la pression des familles, médias et associations de droits de l’Homme mobilisées sur place.

Aujourd’hui, c’est vers la Guinée Conakry que la Belgique affrète un avion, Etat qui comme la RDC, est régulièrement pointé du doigt pour les violations des droits humains et les exactions commises par le régime en place.

La LDH rappelle l’interdiction absolue des expulsions collectives d’étrangers, prévue à l’article 4 du Protocole 4 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La Belgique s’est déjà fait condamner sur cette base en 2002 par la Cour européenne des droits de l’Homme, qui, dans l’arrêt Conka, établissait l’obligation pour les autorités de prendre en compte de manière individuelle et différenciée la situation des personnes. La Cour s’était notamment basée sur le fait que « les instances politiques avaient précédemment donné des instructions à l’administration pour réaliser des opérations de ce genre » pour conclure au caractère collectif de l’expulsion.

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