21 Janvier 2011
Écouter le témoignage :
Je m’appelle Thierry, je suis de nationalité congolaise.
Je suis arrivé en Belgique le 9 novembre 2010 à 15h30. J’ai débarqué à l’aéroport de Zaventem comme tout passager, j’ai présenté mon passeport au service de l’immigration. Le monsieur qui travaillait voulait bien mettre le cachet, mais un autre est arrivé et il a dit : “Je voudrais voir ce passeport”.
Puis il m’a posé des questions : “Qu’est ce que vous êtes venu faire en Belgique?”, je lui ai répondu : “Je suis venu pour les études.
– Quelles études ?
– Je viens faire une spécialisation en criminologie”.
Il regarde la profession : “Vous êtes avocat ?
– Oui je suis avocat.
– Est ce que je peux avoir votre carte d’avocat ?”
Je sors ma carte d’avocat, je lui présente. “vous allez étudier à quelle université ?
– A l’université libre de Bruxelles
– Est ce que je peux avoir vos documents d’inscription ?”
Il voit les documents et dit : “mais la rentrée était le 15 octobre, vous êtes en retard, vous ne pouvez pas entrer.
– Je suis effectivement en retard par rapport à la date, mais j’ai une dérogation de l’université qui m’accorde un délai jusqu’au 15 novembre”.
Mon délai allait jusqu’au 15 novembre et j’étais à l’aéroport le 9 novembre. Le monsieur a dit : “veuillez me suivre dans mon bureau”. Je suis entré avec lui. Il m’a demandé d’attendre dans une salle. C’était une salle vitrée, donc on pouvait voir toutes les personnes qui passaient et toutes les personnes de l’extérieur pouvaient nous voir.
Donc j’ai du attendre près de 45 minutes. Je suis entré chez l’inspecteur, et au moment ou je prenais la parole, le monsieur qui m’avait interpellé revint et me dit : “passez-moi ce passeport, qu’il vienne chez moi”. Il a repris le passeport à celui qui voulait m’interroger et on est allé dans son bureau : “Expliquez-moi encore très bien, qu’est-ce que vous êtes venu faire en Belgique ?
– Mais, vous l’avez vu, mes documents l’attestent, j’ai un visa d’étude, long séjour, en bonne et due forme”.
Il regarde : “Vous êtes avocat?
– Oui mais je l’ai déjà dit, je suis avocat”
Alors il a prononcé une phrase, je m’en suis rendu compte après, ça a dut être ça le détonateur : “Vous les avocats noirs, vous êtes très malins”, je répète bien : “Vous les avocats noirs, vous êtes très malins, je vais te faire refouler”
Ah…
Il me dit : “mais quand est ce que vous avez eu votre visa?
– Vous voyez la date, c’est le 25 octobre.
– Comment vous l’avez obtenu ?
– J’ai du déposer une demande comme tout le monde. Mais les documents sont là, vous pouvez aller à la maison Schengen, toutes mes identités sont là, c’est vérifiable”.
Alors il dit : “OK, vous pouvez rentrer dans la salle”
Je suis rentré m’assoir et je me suis dit : “j’ai donné des explications plausibles, il n’y a aucune raison qu’on me retienne”.
A 18h, un monsieur revient, il me demande : “Est-ce qu’il y a des gens qui sont venu te chercher ?
– Oui, mon épouse est dehors.”
Mon épouse rentre, on lui pose les mêmes questions et elle donne les mêmes réponses que moi. Ils nous disent d’attendre.
Nous avons attendu. A 19h ils viennent sommer mon épouse de partir. Le temps pour elle d’arranger son sac et de partir, le monsieur vient la tirer par la force ! Et là, je ne pouvais pas admettre une telle chose, je me suis interposé et puis il y a eu une escalade verbale entre nous et les autres sont venu pour calmer le jeux.
Finalement mon épouse est sortie. Je suis resté de 15h à 22h.
A 22h je vois quelqu’un venir avec une note pour me dire de signer. Je demande ce que je dois signer, parce que c’était écrit en néerlandais : « C’est quelque chose d’inadmissible, vous m’amenez un document que je dois signer et que je ne comprends pas, c’est impensable ! ». J’ai refusé de signer. Une dame, une policière, me dit : “Ces documents sont pour vous signifier que vous devez quitter le territoire belge.
– Mais pour quelles raisons ?
– Il n’y a aucune raison qui est avancée ici, on vous demande seulement de quitter le territoire belge.”
Dix minutes après sont arrivés 2 policiers qui m’ont demandé de les suivre. J’avais juste ma mallette, mon ordinateur et un petit sac que je portais à la main.
Je suis entré dans un espèce d’appartement, il était presque 23h. Ils ont ouvert une chambre, il y avait 8 lits superposés et quand ils ont allumé j’ai vu qu’il y avait 2 personnes qui dormaient. Ces centres-là s’appellent centre INAD, c’est situé juste à l’aéroport. C’est en attendant les refoulements qu’on installe les gens là-bas.
En tout cas c’était un endroit très bien, très détendu, il y a un salon, il y a des jeux…. Mais juste devant vous il y a la baie vitrée et vous pouvez juste observer les avions qui sont sur le tarmac. Donc ce centre-là vous dit déjà que vous êtes prêt à embarquer dans une avion pour retourner là d’où vous êtes venu.
Alors le matin un document tombe chez l’assistant social. Il me dit : “vous avez un document qui dit que vous devez rentrer à Casablanca au Maroc”. Je dis : “Moi je suis congolais, je viens de Kinshasa, j’ai prit un vol de Royal Air Maroc qui a fait escale à Casablanca, mais je ne vois pas pourquoi on va me refouler à Casablanca !”
J’ai vu d’autres personnes, finalement nous étions 13. Il y en a qui ont signé, c’est-à-dire que ceux qui signent sont directement programmé pour un vol de retour. J’ai vu des gens partir, mais moi comme je n’avais pas signé, je restais là.
Au centre INAD, on ne peut rester que 7 jours. Après 7 jours, on vous affecte à un autre centre.
Le septième jour, j’ai été transféré au centre 127bis, c’est un centre pour sans-papiers. Vous vous imaginez, j’ai été emmené dans un centre pour sans-papiers alors que j’avais tous mes papiers, tous mes documents en ordre en ce qui concerne l’accès au territoire belge.
Je suis resté du 15 au 29. Donc le total de mes jours de détention était 20 jours.
Quel est le motif qui a été évoqué ? La première fois, il n’y avait aucun motif. La deuxième fois, ils ont dit que ma dérogation délivrée par l’université était une dérogation frauduleuse. La troisième fois, j’ai eu une autre note d’expulsion qui disait que les motifs de mon séjour n’étaient pas clairs. Et quatrièmement, que j’étais un sujet dangereux (Il rigole). Je ne vois pas en quoi j’étais dangereux. Par deux fois mon avocat a fait un recours, par deux fois l’office des étrangers l’a rejeté.
Nous sommes allé au palais de justice le 25. On m’a mis des menottes comme si j’avais tué quelqu’un, comme si j’avais volé. Et j’ai été enfermé dans un cachot du palais de justice de 7h30 jusque 14h30.
C’est vraiment un endroit terrible, moi-même je suis avocat, donc c’est la première fois que je me faisais arrêter et me retrouvais en pareilles circonstances.
A 14h30 on vient me chercher, on m’amène au prétoire. Dès mon entrée, le juge me dit : “c’est vous monsieur M? Je dis oui. Bon, maintenant il y a un interprète qui va vous communiquer la décision que nous avons prise ici”.
Mais? C’est du jamais vu ! A mon insu, quelle décision? Le juge parlait en français, c’était une dame. Elle me dit qu’un interprète allait me le dire. Mais elle pouvait elle-même me dire ce qu’elle avait décidé !
On me dit : “Le ministère public a délivré un autre titre de détention à votre endroit, il appartient à votre avocat de ré-initier une autre action.”
Ca c’est un coup de théâtre, c’est du jamais vu ! C’est mon avocat qui a initié l’action devant les juges, donc ils devaient siéger ce jour là sur l’objet introduit par mon avocat. Ce qui n’a pas été fait. Donc c’était de l’arbitraire … un cafouillage !
J’ai été amené trois fois à l’aéroport pour être expulsé. La première fois, j’ai refusé, j’ai été ramené au centre. Dès que je suis rentré une seconde fois, on m’a amené un ordre d’expulsion, j’ai été de nouveau amené à l’aéroport, et là j’ai encore refusé. Une troisième fois, après que je sois passé devant les juges, j’ai été à l’aéroport, j’ai encore refusé, et aussitôt rentré, j’ai reçu un autre ordre d’expulsion pour le mardi. Donc c’était la quatrième fois, cette fois avec escorte militaire. On me dit que cette fois là je serai menotté et jeté dans l’avion même contre mon gré.
Et finalement, à l’université, certains étudiants en compagnie de mon épouse sont allés voir le recteur. La presse s’est mêlée de cette affaire et je crois que l’opinion a été tellement alertée qu’en fin de compte, le lendemain, l’office a décidé de me libérer.
Pour ma part c’était la première fois que je faisais l’objet d’une privation de liberté. C’est très dur d’être privé de sa liberté. Nous avons l’occasion de défendre des gens qui sont en prison, mais nous ne nous rendons pas compte de la gravité que cela représente.
« Vous ne devez pas être là ! » C’est de l’humiliation en fait, donc psychologiquement … c’est un matraquage ! Je ne sais pas comment l’expliquer mais… ça vous développe un sentiment de révolte.
Dans le cadre de nos études, on dit généralement que la prison est criminogène. C’est inhumain, et c’est dégradant en fait. Et on doit éviter le plus possible que les gens soient détenus.
Etre dans un centre fermé, je le répète encore, c’est inhumain et c’est dégradant, c’est une violation des Droits de l’Homme !