19 Janvier 2011 – Témoignage d’un jeune homme ayant passé 2 mois et demi dans les centres fermés de Zaventem et de Liège
Écouter le témoignage :
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Comment tu es arrivé en centre fermé ?
J’ai demandé l’asile, et au premier rendez-vous pour l’interview, j’ai été conduit en centre fermé.
Quand tu es allé à l’office des étrangers, ils t’ont directement amené au centre fermé ?
Oui, dès mon premier entretien.
Et combien de temps as-tu passé en centre fermé et dans lesquels ?
La durée totale a été de deux mois et deux semaines, j’ai passé exactement 57 jours au centre de Zaventem et puis j’ai été transféré vers un autre centre ; celui de Liège. C’était une pression morale qui me brûlait les nerfs !
Est-que tu peux nous parler des conditions de détention et de la façon dont ça se passe à Liège ?
C’est une prison, une vraie prison ! Les portes des chambres sont les portes d’une prison, ces portes sont très lourdes, il n’y a pas un contact direct entre les détenus et les gardiens, il faut leur parler derrière la porte, une porte métallique bien sur, une porte de prison. Les services ne sont pas ponctuels là-bas, si tu demandes à voir un médecin, tu écris ta demande le matin et si le médecin n’est pas là, tu restes avec tes douleurs, il n’y a pas de souci par rapport à ça. Et si quelqu’un est malade, il prend le même médicament, le médicament est unique que se soit pour des douleurs, un mal de dent, mal au pied,… c’est le même comprimé qui est en réalité un somnifère.
Quelle était la population du centre et est-ce qu’il y avait beaucoup d’expulsions qui partaient du centre fermé ?
Je suis resté pendant une courte période à Liège, donc je n’ai pas eu assez de temps pour récolter beaucoup d’informations, je n’ai pas vu de famille et je n’ai pas entendu qu’il y avait des familles là-bas. Les détenus étaient des personnes gentilles qui ne font pas de problèmes, c’est ce que j’ai vu. Pour moi, quand j’ai été transféré au centre fermé de Liège, mon moral été au plus bas, je ne m’intéressais plus à savoir ce qui se passait autour de moi, du fait que j’étais transféré d’une prison vers une autre prison, je n’avais pas le moral.
Est ce que tu peux décrire comment tu te sentais pendant tout ce temps en centre fermé ?
Je n’ai jamais imaginé pouvoir aller en prison avant. Ma première détention est ici en Belgique. Mon ressenti c’est que j’avais l’impression d’être sous la terre, mon moral était très mauvais, mes cheveux sont devenus plus blancs qu’ils ne l’étaient avant. J’avais déjà des cheveux blanc quand je faisais des démarches auprès de l’office des étrangers, mais quand je suis rentré en centre fermé, mes cheveux sont devenus blancs très rapidement.
Depuis combien de jours es-tu sorti et comment te sens-tu depuis ?
J’ai un mauvais sentiment bien sur, et un sentiment de bonheur parce que je suis sorti de prison. Le mauvais sentiment parce que je n’arrive pas à réfléchir, ma tête est paralysée. Je me sens comme si des gens se mettaient à me tabasser et j’ai mal dans tout mon corps. La prison est difficile, la prison tue, il y a des personnes qui pourrissent de l’emprisonnement. Celui qui est sain tombe malade et les raisons ne sont pas identifiables. La raison pour laquelle j’étais en prison n’est pas liée à un crime que j’ai commis, je ne suis ni un tueur, ni un voleur, ni quelqu’un qui a frappé des gens ; moi je n’ai rien fait.
Je suis sorti du centre il y a quatre jours.
Et par rapport au principe même du centre fermé, qu’en penses-tu?
En principe, les gens qui sont détenus dans les centres fermés ne devraient pas y être, et normalement à leurs places on aurait du mettre les trafiquants de drogue, les voleurs ou des gens qui ont commis des crimes. Ils laissent les criminels dans la rue et ne leurs font rien, et ils vont chercher les gens qui veulent vivre de manière pacifique et légale.
Toute personne qui entre en centre fermé apprend la haine. Avant de venir, la personne aime le pays dans lequel elle est arrivé. Elle est contente parce qu’elle va pouvoir vivre dans ce pays. Mais l’injustice qu’elle a vu va la changer. J’ai entendu une phrase de plusieurs personnes de nationalités différentes que j’ai rencontré en centre fermé : « Si jamais un jour, je vois un Belge dans mon pays, je me vengerai ». J’ai entendu cette phrase dans plusieurs langues. Les centres fermés cultivent la haine parce qu’on se trouve en détention sans aucune raison et on reçoit des mauvais traitements sans aucune raison. Tout ça parce qu’on vous tend la main pour vivre avec vous en paix ?!! Et en même temps les voleurs et les trafiquants de drogue ne sont pas inquiétés ! De ce fait, toute personne qui quitte le centre fermé est imprégnée d’un sentiment de haine et a de mauvaises pensées.
Je voulais dire également que les avocats du centre fermé sont des bouches-trous. Ils ne font rien! Quand j’avais demandé un avocat, ce dernier se comportait avec moi d’une mauvaise manière. Pour eux : « Tu es sur l’escalier qui mène à l’avion, tu ne reviendra pas et tu vas quitter le pays ! », et donc ils se comportent très mal avec les détenus.
Est-ce que tu peux nous raconter l’histoire de Kemo (réfugié d’origine ivoirienne)?
Kemo était mon co-détenu et je l’ai connu comme ça. Il était arrivé depuis Israël, donc on a voulu l’expulser dans ce pays. Kemo leur a dit : « Renvoyez moi dans mon pays et pas en Israël ! Israël n’est pas mon pays ! ». Pour la troisième tentative d’expulsion, on ne prévient jamais le détenu qu’il va être expulsé, c’est la méthode à Liège et à Zaventem et je pense dans tous les centres fermés. Donc des agents des sécurités sont venus chercher Kemo sans qu’il soit au courant, ils l’ont fait entrer dans une pièce et puis ils l’ont mis dans un véhicule. Quand Kemo a compris qu’il allait prendre l’avion il a protesté. Alors ils se sont comporté violemment, ils lui ont attaché les mains avec des menottes. Kemo a résisté parce qu’il ne voulait pas retourner en Israël, Israël n’est pas son pays. Quand il est revenu il boitait et il était très déprimé, surtout à cause de l’effet de surprise de la troisième expulsion. Depuis j’ai entendu dire qu’il avait été conduit en prison parce qu’il avait frappé deux agents de police, mais en même temps ces policiers l’ont frappé et l’ont couché par terre ! Un des policiers mettait son pied sur le genou de Kemo, et le deuxième mettait son pied sur son cou ! Evidemment se sont des comportement inhumains, et une des choses étrange c’est que l’on puisse expulser quelqu’un alors que son cas est toujours en cours de jugement par la Cour de justice et qu’il n’a reçu ni un avis positif ni un avis négatif ! Et on disait à Kemo que même après son départ, le traitement de son dossier suivrait son cours ! Comment c’est possible ça !!! Le système des centres fermés est une sorte de mafia, tu ne comprends pas ce qui arrive, il n’y a pas de lois appliquées qui réglementent les détenus et leurs détention.
Comme raconté plus haut, Kemo a subit une nouvelle tentative d’expulsion le 14 janvier, cette fois-ci vers Abidjan, Côte d’ivoire, et ce, en pleine période de trouble politique, sans prendre en compte le fait que toute sa famille avait été massacrée par les participants de Gbagbo! Cette tentative d’expulsion était non seulement inhumaine mais totalement illégale. Ayant résisté une nouvelle fois, Kemo s’est vu accusé de coups et blessures sur agents. Il est depuis enfermé à la prison de Forest, en attente de jugement. Bien sur, aucun rapport n’a été fait sur les violences qui auraient pu être exercées contre lui…