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Retour de la visite des délégations au CIV le 24/12/2023.
CRACPE: Collectif de Résistance Aux Centres Pour Etrangers. Site : www.cracpe.be
Chaque année nous nous rassemblons devant le centre fermé de Vottem le 24 décembre. Il s’agit, comme à chacune de nos manifestations, de montrer notre opposition à l’existence de tels centres où sont enfermées des personnes sur simple décision administrative de l’Office des Etrangers, parce qu’elles ne disposent pas, ou plus, d’un titre de séjour. Ces centres ont comme fonction de mettre en œuvre leur expulsion hors de nos frontières, quitte à les renvoyer vers l’insécurité, c’est à dire vers la guerre , la dictature, les persécutions de toutes sortes, politiques, sexistes, homophobes…, vers la misère liée à la dette des pays du Sud, à l’inégalité des échanges, au pillage des ressources par les anciens colonisateurs, ou encore au réchauffement climatique….
Pendant ce rassemblement une délégation, composée de députés parlementaires et de représentants d’associations, est reçue par la direction du centre. Durant une bonne heure la délégation a le droit de poser des questions à la direction. A l’époque de l’ancienne direction, après ces échanges, la délégation complète pouvait se rendre, accompagnée de gardiens, à la rencontre de détenus sur leur lieu d’enfermement. Depuis 2 ans, le nouveau directeur, ancien chef de la sécurité à Vottem, Monsieur STASSENS, refuse cette possibilité aux non-parlementaires en justifiant d’abord sa décision par « la volonté de ne pas mettre en danger les résidents à cause du COVID ». Mais ensuite, après nos insistances, il a clairement dit que nous n’y avons de toute façon pas accès, car seuls les parlementaires et les ONG accréditées y sont autorisés par la loi.
Monsieur STASSENS nous accueille cordialement mais, assez tendu, il se montre très prolixe et monopolise la parole. Il décrit le Centre fermé sous un jour très positif; les prisonniers sont présentés comme des “Résidents” ou des “Clients”, dont on s’occupe avec bienveillance; un quasi Club Med !
Il y a en ce 24 décembre 2022, 48 personnes enfermées, de nombreuses nationalités. 110 places sont disponibles ; il explique cette sous-occupation par le fait que les consignes du Covid sont toujours d’application. Mais il ne nie pas la difficulté de recrutement de personnel, ce qui expliquerait aussi le sous-effectif de personnel d’encadrement.Une aile (la bleue) du bâtiment est fermée depuis l’été. Et dans les chambres des ailes rouge et jaune il y a 2 personnes maximum pour 4 lits. Le mot confort revient souvent dans le discours de la direction : télévision, accès à internet, salle de détente, 2 heures de préau par jour etc….C’est le même discours que celui qu’on nous sert pour les prisons, « mais de quoi se plaignent-ils ? »
Rappelons que les personnes détenues dans les centres fermés n’ont fait l’objet d’aucun jugement et qu’il s’agit uniquement d’une décision administrative de l’Office des Etrangers. Pour rester dans ce lieu de « confort » il faut être un gentil mouton : être « gérable », nous dit le directeur, et si la personne est « dominante », « difficile à gérer », « a trop de pression sur les autres », elle sera transférée dans l’aile verte, en isolement. Nous entendons donc qu’il faut ne jamais se plaindre ou revendiquer, rester perpétuellement calme, et obéir sans discussion.L’aile verte c’est 11 chambres, avec télévision et leur téléphone, où le détenu est seul 24h sur 24. Il mange seul, dort seul, passe sa journée seul dans une chambre, même son droit au préau, il l’exécute seul. S’il est « calmé », il pourra passer quelques heures avec les autres. Pour la direction ce transfert (à durée illimitée) est destiné à « apporter une aide sur mesure aux résidents en difficulté » et fait suite à une décision collégiale interservices (directeur, infirmier, psychologue, …); cette décision est prise dans « l’intérêt du groupe et de la personne », « dans une perspective d’adaptation, pas de sanction ». Le but de l’isolement est toujours de « ramener la personne dans le groupe le plus rapidement possible » car « plus il y a d’isolés, plus c’est difficile à gérer pour les gardiens ! donc ils n’ont aucun intérêt à placer quelqu’un en isolement ».
A côté de cette aile d’isolement il y a le « régime différencié » : même principe d’isolement, mais les chambres sont plus petites et surtout plus « sécurisées » avec une surveillance permanente vidéo. Nous savons par exemple qu’une personne qui démarre une grève de la faim est systématiquement isolée. L’intérêt là est bien pour le centre : éviter que d’autres détenus ne suivent le mouvement.Et puis il y a ce que la direction appelle les chambres d’isolement, que nous et les détenus appelons les cachots, il y en a 6 : matelas sur un socle en béton, wc dans la chambre, sortie impossible, aucun contact, pas de TV, pas d’internet etc … théoriquement pour 24h, 48h avec accord de l’Office des Etrangers, 72h avec accord du secrétaire d’état. La mise au cachot est systématique s’il y a acte de violence : mais tout est relatif, qu’appelle-t-on « violence » ? Le cachot est quasi systématique la nuit précédant une expulsion (appelée « départ » par la direction) « dans l’intérêt du résident et du groupe » car « les rapatriements se font souvent très tôt et il faut se lever vers 4H00 ou 5H00 du matin car il faut arriver 4H à l’avance à l’aéroport. Donc le détenu peut tranquillement faire ses paquets la veille et ne pas réveiller les autres qui dorment au moment du départ ». Parfois aussi, on transfère le détenu la veille au 127 bis. Le directeur affirme que si le rapatriement a lieu dans l’après-midi, il n’y a pas de mise au cachot la veille et que si le départ est volontaire, le détenu passera sa dernière nuit dans une chambre de l’aile médicale. Il est évident pour nous que le but de cet isolement très surveillé est d’éviter une rébellion contagieuse, voire un geste désespéré : il arrive parfois que des personnes dans un acte de désespoir recourent à des moyens extrêmes pour éviter l’expulsion, avalent ce qu’elles trouvent : dernièrement, un briquet ou une lame, etc….
Les téléphones utilisés par les détenus doivent être sans caméra, la raison invoquée : « pour ne pas faire prendre de risques à ceux qui se retrouveraient sur des photos diffusées sur des réseaux sociaux, pour protéger les demandeurs d’asile et que leurs photos n’arrivent pas dans les mains du gouvernement qu’ils ont fui. »
Nous ajouterons aussi qu’il est impossible dès lors que soit photographiée ou filmée la violence dont nous font part régulièrement les détenus à leur égard. Sans photos, vidéos, seule leur parole est un témoignage. L’accès à internet : nous recevons des plaintes récurrentes des détenus : pas assez d’accès, dans les faits 1 jour sur 2 pendant 1 heure sur inscription, il n’y a que 10 ordinateurs et leur activité sur internet est tracée et mémorisée sur un serveur. Avec le téléphone (qu’ils doivent acheter, ou que nous leur procurons) c’est le seul moyen pour eux d’avoir des échos de ce qui se passe à l’extérieur. Un détenu nous a raconté qu’arrivé à l’aéroport il lui avait été montré un laissez-passer vers le Sénégal, alors que l’ambassade, à laquelle il avait téléphoné, lui avait certifié ne pas en avoir délivré. Nous avons interrogé la direction sur ce cas précis car nous suspections le retour du laissez-passer européen. « Ce document de voyage, délivré par les Etats membres de l’UE – et eux seuls -, permet d’expulser une personne sans qu’elle ait été identifiée par le pays « tiers » dont elle est supposée être originaire, et donc sans laissez-passer consulaire, au mépris de ses droits et du principe d’égalité entre Etats souverains (garanti par la Convention de Vienne). » (https://www.cncd.be/Le-Laissez-passer-europeen-un-pas février 2017) . La réponse de la direction ne nous a pas beaucoup éclairé : il nous a dit qu’indépendamment des pays vers lesquels les personnes peuvent être renvoyées automatiquement si le règlement Dublin le permet, il y a des accords avec des pays tels l’Albanie, le Kosovo, …. qui font qu’un laissez-passer n’est pas nécessaire. Mais que dans les autres cas le pays vers lequel l’OE veut envoyer la personne doit donner son accord via l’ambassade. Il explique alors pour le cas précis du monsieur sénégalais « qu’il arrive que l’ambassade laisse croire au résident qu’elle n’en a pas délivré pour être tranquille ».
Nous avons aussi régulièrement des plaintes de détenus concernant le traitement médical qu’ils suivaient avant l’entrée au centre, et qui serait refusé ou modifié par le médecin du centre. Le directeur conteste ces critiques et parle plutôt de problème de médicaments qui n’existent pas en Belgique et qui sont remplacés par un autre de même molécule, ou alors un générique.
Conclusions :Comme chaque année, la direction nous a présenté son Centre fermé comme très accueillant et il ne semble pas prendre en compte le terrible stress des “résidents”, qui sont enfermés injustement, ne savent pas pour combien de temps, et qui craignent à tout moment, et très rapidement, de se voir éloignés de la Belgique, où ils ont souvent de solides attaches. Confronté à une question récurrente sur l’utilité des centres fermés, avec 150.000 sans-papiers, et une capacité maximale actuelle de détention de 751 personnes dans les différents centres fermés, le directeur répond avec une certaine irritation que 150.000 est une estimation exagérée, que le centre est là pour refouler les sans-papiers, conformément à la loi, votée par les hommes politiques et qu’il ne fait que l’appliquer comme fonctionnaire fédéral.